Besoins et aspirations

Le dimanche 5 juillet 2015, j’assiste au Roi Lear, traduit et mis en scène par Olivier Py, dans la Cour d’Honneur du Palais des Papes à Avignon, quand Philippe Girard, incarnant le rôle titre, déclame cette réplique :

« “Besoin” ? Qui parle de “besoin” ?
Même les misérables ont besoin d’inutile !
Le besoin d’inutile fait de nous des humains !
Ne donner aux humains que selon leurs besoins
C’est faire tomber l’homme au niveau de la bête !
»

Alors me revient en mémoire un extrait de ce livre de Thierry Paquot, Désastres urbains, qui montre comment les grands projets architecturalo-urbanistiques contemporains (centres commerciaux, gratte-ciel, etc.) “détruisent” la ville, et contribuent à l’enfermement et à l’assujettissement de leurs habitants.

Dans le chapitre Le « grand ensemble », ou l’ensemble sans ensemble, Paquot explique l’échec de ces logements collectifs en partie par le fait qu’ils furent construits en série selon une grille fonctionnelle censée répondre aux « besoins » des futurs habitants.

Finalement, « la « théorie des besoins » et son corollaire pratique et opérationnel, le « fonctionnalisme », furent sérieusement remis en cause avant de disparaître dans les poubelles de l’Histoire des idées. » Car en définitive, on s’aperçut que « la « vraie vie était ailleurs » ; elle ne se cantonnait plus à la survie, à la nécessité, aux « besoins », mais revendiquait d’autres « aspirations ». Ces aspirations – au silence, à la beauté, à la halte, à la familiarité, à la dignité, etc. – échappaient à l’économique et concouraient au déploiement de la singularité de chacun. »

Qui mettra Shakespeare et Paquot sur la table de chevet de certains décideurs qui bâtissent aujourd’hui nos villes ? Quant à nous, en deçà de la ville, au-dedans de nous, prenons garde à ne jamais croire que nos besoins comblés suffiront à nous rendre heureux. Ne perdons jamais de vue nos aspirations…



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